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Très chères Sœurs et Amis :
Je vous souhaite à tous une très bonne fête de Sainte Marie Eugénie !
Pour notre réflexion de cette année, j’ai choisi l’une des pensées préférées de Marie Eugénie, « vivre la grâce particulière de notre temps ». Alors que nous nous préparons pour le prochain Chapitre général, ce thème revêt une importance particulière. Comment discerner et réagir à la grâce particulière du moment présent ? Dans une de ses Instructions, Marie Eugénie écrit : « Chaque jour Il [Dieu] nous fait comprendre ce qu’Il désire de nous, il suffit d’être bien fidèles à la grâce de chaque jour. Ce qui empêche souvent les âmes d’avancer, c’est qu’elles ne s’appliquent pas assez à bien employer le moment présent. »[1] Plus tard, elle écrit : « Il y a la joie de l’aimer [Dieu] tous les jours davantage, ce qui est la grande grâce de la vie religieuse, et, je dirais aussi, la grâce particulière du temps où nous vivons. Nous vivons dans un temps d’anxiétés et d’incertitudes. Nous ne savons pas bien ce que le bon Dieu fera de nous. »[2] Pour sainte Marie Eugénie, cette grâce particulière est étroitement liée au projet de Dieu pour notre temps. Dans ses écrits, elle nous invite à rechercher cette grâce particulière, à la ressentir dans notre être, à la découvrir, à la comprendre, à l’embrasser et à la vivre pleinement et fidèlement – de manière significative et fructueuse.[3]
Comment décrire la grâce particulière de notre moment présent dans l’histoire humaine/dans l’histoire de l’Église et de notre congrégation ? Si j’y réponds en une phrase, je dirais : changements rapides, déplacements et grâce de l’adaptabilité.
La plupart d’entre nous ont vécu deux siècles – ce qui signifie aussi deux millénaires différents. En pensant uniquement aux communications, nous sommes passés des lettres manuscrites via les bureaux de poste et les télécopieurs aux e-mails et aux messages instantanés WhatsApp. Nous sommes passés des appels téléphoniques composés avec un opérateur pour les appels longue distance aux appels vidéo internationaux instantanés. On se souvient d'avoir utilisé des ordinateurs avec 64 Ko ou 1 Mo de stockage. Nous avons beaucoup travaillé sur ces ordinateurs dans les années 80 et 90. Nous avons utilisé des disquettes et des CD. Et maintenant, nos gigaoctets et mégaoctets de smartphones ne suffisent plus. Nous sommes passés des matchs en direct à la radio aux téléviseurs en noir et blanc, aux téléviseurs couleur, puis aux téléviseurs 3D-HD. Et dans le domaine des transactions financières, nous sommes passés du chèque bancaire à la banque en ligne. De plus, la technologie en constante évolution, depuis Internet jusqu'aux systèmes d'intelligence artificielle (IA), révolutionne désormais notre vie quotidienne en ouvrant de nouvelles possibilités.
La transformation provoquée par l’avènement des promesses de l’IA est immense. Certains d’entre nous connaissent et utilisent parfois ChatGPT. Je me souviens de l'avoir utilisé lors d'une conférence internationale où nous devions résumer plus de 800 pages en quelques heures. Il est utilisé dans diverses applications, notamment la reconnaissance de contenu, la génération de texte, le résumé de contenu, la classification de contenu et la traduction.
En parlant de l'IA dans une récente interview, le P. Paolo Benanti[4] souligne : « Le développement rapide et mondial des systèmes d’intelligence artificielle (IA) a pris la plupart des gens au dépourvu. Ce scénario en évolution rapide est un processus interdisciplinaire qui fait appel à différentes compétences et disciplines, apportant de nombreux facteurs de crise et de nouveaux stimuli. » Il est en effet naïf de considérer ces nouvelles technologies comme neutres. En raison de leur capacité à produire un contenu apparemment réel et convaincant, selon Benanti, les IA sont des acteurs potentiels pour influencer notre domaine cognitif ou changer non seulement notre façon de penser, mais aussi notre façon de penser et d’agir. Dans la même interview, il évoque « une sorte de confrontation entre les machines qui semblent s’humaniser chaque jour davantage, et les êtres humains qui se considèrent de plus en plus comme des machines ». Et il poursuit : « Si l’intelligence n’est pas une faculté abstraite produite par un organe, le cerveau, peut-être que ce qui compte dans notre être Homo sapiens, dans notre être en tant que personne, c’est aussi le corps que nous habitons. Nous sommes des intelligences incarnées. Le milieu dans lequel nous habitons, notre corps, n’est pas n’importe quel matériel, et cela fait toute la différence. »[5]
En outre, ce qui est inquiétant, ce ne sont pas les nouvelles technologies en elles-mêmes, mais la concentration d’un pouvoir énorme entre les mains de quelques-uns. Parlant d’IA et de paix, le pape François appelle notre attention « à élargir notre regard et à orienter la recherche techno-scientifique vers la recherche de la paix et du bien commun, au service du développement intégral des individus et des communautés ». Dans le même document, le Pape François exprime sa préoccupation dans la prière pour « que le développement rapide des formes d'intelligence artificielle n'augmente pas les cas d'inégalité et d'injustice trop présents dans le monde d'aujourd'hui, mais qu'il contribue à mettre fin aux guerres et aux conflits, et soulager de nombreuses formes de souffrance qui affligent notre famille humaine. »[6]
En ce moment où Internet et les technologies numériques changent radicalement nos structures sociales et nos systèmes cognitifs, dans quelle mesure sommes-nous préparés aujourd’hui, en tant que chrétiens en général et RA en particulier, à accueillir cette nouvelle ère ? Quelles sont les implications anthropologiques, spirituelles, morales et sociales de ces technologies ? Comment redéfinissent-elles notre spiritualité ? Comment influencent-elles et remodèlent-elles notre « mode de vie » ? Quel impact ont-elles sur notre mission d’éducation et sur JPICS ? Et comment pouvons-nous inclure les pauvres et les moins privilégiés dans ce chemin transformateur d’Internet vers l’Intelligence Artificielle, qui devrait ouvrir la voie à une nouvelle ère de possibilités ?
J'espère que ces réflexions suscitent quelque chose en nous. Chaque moment de l’histoire a une grâce unique si nous nous permettons de faire une pause et de la trouver, même dans les changements auxquels nous résistons et que nous n’aimons pas. Marie Eugénie nous invite aujourd'hui à embrasser la grâce particulière de notre époque qui inclut la puissance de cette technologie transformatrice (IA). Sœurs et amis, nous n’avons d’autre choix que de nous lancer dans l’aventure de l’IA et d’exploiter son pouvoir de transformation pour une vie meilleure pour tous. Que Sainte Marie Eugénie nous bénisse dans notre chemin !
Avec toute mon affection et mes prières !
Rekha M. Chennattu, RA
Supérieur Général
Auteuil, 6 mars 2024
[1] Marie Eugénie, Instruction de Chapitre, 3 Décembre 1871
[2] Marie Eugénie, Instruction de Chapitre, 12 Mars 1876
[3] Par exemple, Marie Eugénie, Lettre à l'Abbé Gros, n°7504, et Instruction de Chapitre, 20 août 1871.
[4] Le P. Paolo Bernanti vient d’être nommé membre du Conseil Consultatif sur l’Intelligence Artificielle par le Secrétaire Général des Nations Unies
[5] Nuno da Silva Gonçalves, SJ, « Les Intelligences Artificielles et les Intelligences Incarnées : Quelle Frontière ? » Interview avec Fr. Paolo Benanti” La Civilta Cattolica ( 26 Janvier 2024).
[6] Pape François, “Intelligence Artificielle et Paix », 1er Janvier 2024