« Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement ». Chesterton
En juin 2015, dans son encyclique Laudato Si, le Pape nous appelle à vivre une véritable conversion écologique. C’est à ce moment même que le Seigneur nous a saisis afin que nous devenions des serviteurs de notre « maison commune » et de ceux qui la peuplent.
Nous nous étions mariés 6 mois auparavant, nous étions partis marcher sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle pour 2 mois et demi. La marche au long cours, la sobriété vécue avec pour toute maison deux sac à dos de moins de 10 kilos, les rencontres variées et d’une richesse inespérée et la lecture de Laudato Si ont lentement mises en lumière notre désir profond d’œuvrer à créer le monde que nous désirons. Sur le chemin, nous avons acquis petit à petit « une conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle » (LS 220).
De retour de Saint Jacques de Compostelle, emplis du zèle des nouveaux convertis, nous avions le désir de modifier radicalement notre vie marseillaise. Toutefois, le retour a été dur pour Arthur… Nous venions de faire plus de 2 000 kilomètres au rythme lent de nos pas alors que son travail consistait à permettre aux gens d’aller le plus vite possible via la réalisation d’études sur les trafics routiers. Le choc était violent et l’atterrissage compliqué. En parallèle, Arthur a commencé à se documenter sérieusement sur l’état de notre monde, sur les effondrements en cours et à venir. Le bilan était alarmant et tout à fait en phase avec le premier chapitre de Laudato Si. Le décalage entre la joie et l’émerveillement qui nous avait comblés au plus profond de notre âme pendant la marche et son analyse des effets de la domination de l’humanité sur le monde était vraiment douloureux pour lui.
Préoccupée par l’état de mon mari, je prenais soin de lui. J’étais aussi convaincue que c’était en agissant - et en priant - que nous arriverions à retrouver joie et espérance. Je m’accrochais donc aux mots du Pape « Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme ». Alors, nous avons essayé de porter notre attention sur les actes automatiques de notre vie quotidienne. Nous étions certains que l’émerveillement et la relation aux autres seraient des atouts essentiels dans notre démarche… Abandonner le supermarché pour faire nos courses chez un producteur local que nous sommes heureux de voir toutes les semaines ; faire nous-même nos compotes et sauces tomates pour honorer notre capacité à utiliser nos mains ; privilégier des cadeaux faits maison afin d’engager notre créativité et notre temps dans la joie d’offrir (il n’y a rien de mieux que le tricot pour prier pour celui à qui ce cadeau est destiné !!) ; commencer à cultiver la terre dans un potager dans les quartiers nord de Marseille afin de retrouver ce goût du contact avec la nature…
Le chemin de sobriété ainsi vécu nous rendait plus libres. La transformation de notre mode de consommation nous procurait plus de joie : « plus de liens, moins de biens ». Le fait-maison nous donnait confiance en nous : Arthur est capable de fabriquer une belle étagère... Blandine cuisine de bons plats végétariens… Merci Seigneur pour tous ces dons jusqu’alors insoupçonnés !
Parfois, ces changements d’habitudes étaient lourds à porter… Alors, nous puisions à la source de la où jaillit notre énergie : l’émerveillement devant la beauté de la Création et l’amour mutuel dans notre couple.
Nous avions aussi la conviction qu’on ne vit pas une conversion écologique seul. Ceux qui nous précédaient et apportaient des réponses efficaces et justes à tel ou tel problème, nous inspiraient.
Nous avons donc décidé de partir à la rencontre de ces personnes. Lors de cette balade en France, nous avons rencontré beaucoup de belles personnes qui avaient une cohérence de vie joyeuse et sobre, qui goûtaient l’instant présent, sereinement et avec passion. Ils étaient pour nous comme plein de petites lumières d’espérance avec lesquelles un grand feu est en train de se préparer.
A mesure que nous avancions sur le chemin de l’écologie de la vie quotidienne et forts des rencontres avec ces bâtisseurs d’un monde meilleur, nous nous sommes interrogés : « et nous, dans cette aventure, quelle est notre place ? »
Un grand désir travaillait nos cœurs depuis quelques temps. Nous voulions devenir maraîchers. Ainsi, nous voulions revenir à la Genèse, à la création du monde, au jardin que Dieu nous confie pour que toutes les espèces y vivent en harmonie et que l’homme utilise sa responsabilité pour en prendre soin et la transmettre. Le maraîchage implique de se reconnecter à la Création, au rythme des saisons, au temps tel que Dieu l’a pensé pour l’homme, à la beauté de la biodiversité ; c’est redonner du sens à notre travail en devenant co-créateurs ; c’est créer des relations nouvelles entre producteurs et consommateurs et ainsi favoriser une nouvelle manière d’être au monde ; c’est participer à un métier essentiel à la vie ; c’est réaliser une production de qualité ; c’est œuvrer concrètement, en travaillant avec le vivant et non contre lui ; c’est pouvoir travailler en silence.
Et nous avons franchi le pas. Nous sommes actuellement dans notre première année d’installation en maraîchage biologique en Seine et Marne, à côté du Campus de la transition. Nous découvrons ce métier à la fois passionnant et complexe, enthousiasmant et fatigant. Nous travaillons en couple : joie de ce projet « fou » enrichi de nos complémentarités, humilité et pardon face à nos incompréhensions et à nos énervements ! Nous sommes complètement dépendants de la nature, du climat (notamment de la sécheresse terrible de l’été 2020), des intempéries. Il y a de l’imprévu, des limites, des fragilités qui nous rappellent combien la nature nous est donnée.
Face aux crises que traversent notre monde, nous sommes apaisés et heureux de notre choix de vie. Nous essayons, avec la grâce de Dieu, de créer du beau et du bon là où nous sommes. Une question nous habite au quotidien : « est-ce que l’acte que je m’apprête à poser crée le monde que j’aime ? ».
Blandine et Arthur de Lassus, 33 et 31 ans