Aborder le Camino de Santiago comme thème central de ces réflexions, sans l’avoir parcouru personnellement, implique de partager la motivation qui me pousse à méditer sur cette route et à en faire le cœur de ma réflexion.
Je n’ai jamais fait le Camino ; je n’ai jamais ressenti l’émotion d’arriver à Saint-Jacques-de-Compostelle. Mon corps n’a pas subi la rigueur ni l’ascèse de marcher, sous le soleil ou la pluie, sur des chemins millénaires. Je n’ai pas non plus entendu de première main les récits qui poussent des personnes du monde entier à entreprendre le pèlerinage. Cependant, depuis mon plus jeune âge, j’ai pu observer des hommes et des femmes chargés de sacs à dos, soutenus sur leurs bâtons de marche, traverser ma ville, Astorga, pour emprunter la portion du Camino qui quitte la Maragatería et monte vers El Bierzo. Je connais un adolescent qui consacre l’essentiel de ses étés à guider les pèlerins vers l’ermitage de son village — une véritable perle du roman, nichée au fond d’une vallée montagneuse. Je vois, dans mes rues, les habitants se donner sans compter pour répondre aux questions des pèlerins. J’ai été émerveillée par leur stupéfaction devant la beauté de la pierre blanche et le jeu de lumières colorées à l’intérieur et à l’extérieur de la cathédrale de León. Le silence de prière et la révérence des pèlerins devant le corps du Christ pendant la messe à la Basilique Royale de San Isidoro à León m’ont profondément émue. Ainsi, je souhaite écrire sur le Camino autour de deux mots : hospitalité et beauté, façonnés au fil de l’Histoire.
« Ô très digne et très saint Apôtre [Jacques], tête d’or resplendissante d’Hispanie, puissant défenseur et très spécial patron, assiste pieusement le troupeau qui t’a été confié… » Ces vers, issus de l’hymne asturien O Dei Verbum, datent de la fin du VIIIᵉ siècle. Ils témoignent de la présence historique de Jacques, notre patron, reconnu comme protecteur et guide du peuple Xacopedia+1Fundación Hispano-Británica+1.
Le Camino représente un lieu — ou plutôt une série de lieux — où la Voie de la Beauté peut rapprocher le pèlerin de la foi en facilitant la rencontre avec le Christ Camino de SantiagoPamplona. Aujourd’hui, certains pèlerins entreprennent le voyage pour des raisons non religieuses, mais il n’est pas prétentieux d’affirmer que la route est jalonnée de lieux qui parlent de la création, de la nature et de l’appel de l’homme à louer Dieu : cathédrales, églises, monastères, basiliques ou humbles ermitages. L’expérience esthétique peut conduire à une compréhension plus profonde de la révélation divine, la beauté étant un chemin vers Dieu, première Vérité et Bien suprême. La beauté possède une force d’attraction qui suscite l’admiration, capable de vaincre l’indifférence et le scepticisme. Face à une œuvre d’art créée de la main humaine, la question du sens de la vie peut émerger spontanément. Face à la beauté d’un soleil levant, le pèlerin se demandera peut‑être : « quel chemin suis-je ? Pourquoi vouloir atteindre Santiago ? »
Les pèlerins, venus de tous horizons, se retrouvent hors de leur lieu d’origine. Ceux qui marchent vers Santiago et traversent le Portique de la Gloire incarnent puissamment la métaphore du voyage humain sur terre : avancer avec désir vers la demeure céleste, vers le repos en Dieu, habiter la maison du Seigneur pour l’éternité. Ainsi : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, d’accueillir des anges » (Heb 13,2). Le Camino reflète — et l’a toujours incarné — cette hospitalité. Il s’agit d’un art de présence aux étrangers, aux inconnus. Elle n’est pas l’apanage du christianisme, mais partagée par d’autres religions et cultures El Camino con CorreosCamino de Santiago. Dès le XIᵉ siècle, hôpitaux et auberges furent édifiés pour héberger, protéger et soigner les voyageurs. Certains accueillaient des prêtres polyglottes pour administrer les sacrements aux mourants. L’hospitalité est le bâton qui permet de surmonter les difficultés géographiques et climatiques du chemin.
Je suis fière de rappeler l’histoire de la route jacobée. À Finis Terrae, Compostelle est devenue lieu de pèlerinage. Les Saintes Lieux ont vécu des périodes de grande instabilité suite à l’expansion islamique. Au IXᵉ siècle, la tombe de l’apôtre Jacques est redécouverte, devenant destination principale pour les chrétiens. Jacques rejoint ainsi Jérusalem et Rome parmi les villes saintes tourgalicia.eseuropapress.es.
« ¡Santiago y cierra, España ! » était le cri d’armes des troupes espagnoles durant des siècles. Je l’évoque ici pour souligner que aujourd’hui le nom de notre cher patron n’isole pas l’Espagne face à l’adversité. Inviter à Santiago, l’atteindre et l’embrasser, ouvre l’Espagne au monde : le Camino est aujourd’hui patrimoine mondial. Que hospitalité et beauté, incarnées sur le Camino de Santiago, continuent d’être deux mots chargés de sens à une époque en quête de paix et de fraternité.
Ana Alonso RA Province d’Espagne
[1]https://xacopedia.com/O_Dei_verbum. Website accessed June 27, 2025.
[2]http://www.cultura.va/content/cultura/es/pub/documenti/ViaPulchritudinis.html. Website accessed June 26, 2025.
[3]Cavero Domínguez, Gregoria. University of León. “Hospitality: Sheltering and Protecting.” P. 2. I am grateful to Goyita (Gregoria) for her ideas and materials for writing this text.