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Être AMA, c’est aussi éclairer les choix de carrière

à eventvendredi 29 mars 2024

Eugénie Sentucq a 27 ans, elle est actuellement ingénieure-architecte et travaille à Londres. Française, elle est partie comme AMA en 2015 en Equateur et y est retournée plusieurs fois depuis. Cette expérience a profondément transformé sa vie personnelle et professionnelle.

J’ai décidé de partir comme AMA en 2015. Je venais de perdre deux amis très proches, décédés brutalement d’une maladie pour Mathilde et d’un accident à la suite d’une soirée trop arrosée pour Maxime. J’avais 20 ans, j’avais jusqu’alors tout réussi et venais d’être admise en Ecole d’ingénieures et d’Architecture à Paris. Je n’avais pas imaginé vivre une telle perte. J’avais pourtant toujours ressenti comme une inquiétude au fond de moi qui sommeillait, mais j’avais toujours réussi à l’endormir par mes activités multiples et ma quête insatiable de comprendre, d’apprendre et de rencontrer les gens. Née dans une famille catholique à Bordeaux, j’ai entendu parler des AMA par des amis. Après un weekend d’immersion chez les sœurs à Orléans et quelques journées de préparation, je suis partie en Equateur, à la recherche de sens, à la recherche de la vie.

Arrivée à Guayaquil, j’ai commencé par aider les catéchistes au collège de l’Assomption. Mais Madre Gina a vite compris que je désirais autre chose et elle a permis une rencontre avec le directeur de l’ONG jésuite Hogar de Cristo dans les bidonvilles de Guayaquil. J’ai alors été « embauchée » pour concevoir des maisons en bambou à bas coût pour les habitants des bidonvilles. Je peux dire aujourd’hui avec certitude que ma vocation professionnelle a découlé de cette expérience. Au cours de ces mois, j’ai sillonné les rues du Monte Sinai, inspectant les maisons, rencontrant des familles qui vivaient dans une précarité inouïe. Comment pouvait-on vivre dans des maisons à cloisons en carton, avec un puits septique en plein milieu du salon ? La drogue, surtout l’héroïne est le fléau de ces quartiers ; j’ai vu des enfants perdus, de 12 ans à peine, le regard vide, avachis le long des murs dans les rues. Comment peut-on laisser la drogue voler les consciences de cette manière? J’ai été profondément touchée par toutes ces rencontres.

Pendant ma mission, la vie au sein de la communauté de l’Assomption m’a fait beaucoup de bien. J’appréciais beaucoup le cadre offert par le rythme des prières ensemble, donnant comme de la douceur à la dureté de mes journées. Je me souviens de tant de moments de partages, cette communion qui continue aujourd’hui me fait beaucoup de bien.

A la fin de ma mission je suis rentrée en France pour poursuivre mes études d’architecture et je savais que je retournerais à Guayaquil pour aider un jour. A ce moment-là, je me suis promis à moi-même de ne jamais m’habituer à la pauvreté, ne jamais m’habituer à ces différences, de toujours me lever et chercher sur ma route comment je pourrai faire du bien au monde.

Deux ans plus tard, en 2017 je suis partie à Bristol dans le cadre du programme Erasmus. J’ai commencé à rédiger mon mémoire que je souhaitais porter sur un sujet qui pourrait améliorer les conditions de vie des habitants des bidonvilles de Guayaquil. J’avais été subjuguée par la diversité des systèmes constructifs associés au bambou Guadua, espèce de bambou endémique aux régions équatoriales qui a des propriétés physiques extraordinaires. J’ai donc orienté mes recherches sur le bambou et j’ai découvert que le bambou avait une propriété chimique qui au contact de la chaux, permettait à la silice de ses cellules de former un produit similaire au ciment avec des propriétés liantes remarquables. Faire du béton avec du bambou, c’est magnifique non ?

Après avoir remis mon mémoire je suis repartie en Equateur l’année dernière pour expérimenter ce « béton de bambou ». Je suis retournée chez « mes sœurs » à Guayaquil dans ma petite chambre.

Je les accompagnais le weekend dans leurs diverses missions, les soirs de semaine dans leurs groupes de prières. J’adorais particulièrement le moment de la vaisselle ! Le reste du temps, j’élaborais des mélanges de béton de bambou. A la fin de mon séjour, nous avons pu comparer 20 parpaings de différents bétons de bambou. Le Padre Vega était ravi des résultats, l’ONG n’avait jamais entendu parler de la possibilité de faire du béton sans ciment industriel, cela a été une superbe aventure. Je travaille désormais à Londres dans un petit bureau d’étude, j’apprends et je creuse, je calcule et je cherche à percer les mystères des matières.

Ces expériences m’ont donné de comprendre que j’étais en vie, et que mon rôle était d’accueillir cette vie, non pas la subir, car – comme le dit Zundel - entre mes mains c’est bel et bien toute la création qui m’a été confiée et j’ai à lui donner cette dimension d’amour sans laquelle elle ne signifie rien.

Aujourd’hui j’ai parfois du mal avec l’institution ecclésiale. Si les mots me dérangent, il me semble comprendre que l’Eglise nomme l’Evangile la bonne nouvelle, celle de la découverte de la vie comme un trésor qui m’a été confié. Je souhaite donner à ma vie une dimension d’amour pour lui donner tout son sens. Jésus Christ pourrait bien être l’homme qui avait tout compris et qui est venu nous le dire. En ce qui concerne l’Esprit-Saint, je le comprends davantage comme le souffle de ma vie qui me relie à ceux avec qui je communie, et ça je le sens dans mon cœur.

Eugénie SENTUCQ

AMA, Province de France