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La recherche du cœur : Saint Augustin et Sainte Marie-Eugénie, un chemin vers Dieu

L eventjeudi 6 novembre 2025

Une réflexion sur la quête intérieure profonde qui guida l’un et l’autre vers Dieu, dans le cadre de la spiritualité de l’Assomption.

L’être humain est un être de désir et, par conséquent, de recherche incessante. Parce qu’il a besoin. Depuis le cri du nouveau-né, qui réclame l’air pour respirer, et les pleurs qui expriment, faute d’autres moyens, le besoin élémentaire de se nourrir, jusqu’aux dernières inspirations de ceux qui quittent cette vie et les gestes destinés à se faire comprendre lorsque la parole n’est plus possible… nous cherchons. Plus tard viennent la quête d’équilibre, les « pourquoi », le besoin de savoir, de comprendre… Jusqu’à intégrer ce qui nous accomplit – de manière unique – comme adulte, homme ou femme… et à accepter également ce qui nous est imposé d’une autre façon.

Mais… est-ce suffisant ?

Lorsque Dieu nous créa, il le fit à son image. « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa… » (Gn 1,27). Et cette image est gravée en nous – que nous le voulions ou non – dans ce que nous appelons notre cœur. C’est là qu’il faut parvenir, vers cette image qui, une fois découverte, plus ou moins pleinement, fera le bonheur de l’être humain et devrait être le désir et la quête d’une vie entière.

Désirer, chercher, avancer sur un chemin pour y parvenir : c’est l’effort constant pour trouver cette image véritable de nous-mêmes, au centre unique et personnel qu’est le cœur.

Mais « cette vérité propre à chaque personne… est cachée sous beaucoup de feuillage… » (Pape François, Encyclique Dilexit nos, 6). Et chacun de nous peut s’arrêter pour nommer ce qui constitue son propre feuillage, ou ce qui le menace, ou encore ce vers quoi l’entraîne le monde actuel. Ce monde qui vit entre guerres et catastrophes naturelles, mais pour lequel nous ne perdons pas l’espérance…

La fête de Saint Augustin approche. La plupart des religieuses de l’Assomption avaient l’habitude de parler de « notre Père » saint Augustin. Nous connaissions et entendions lire chaque semaine la Règle de saint Augustin. Nous savions par cœur certaines phrases marquantes de son itinéraire.

Par ailleurs, nous savons que sainte Marie-Eugénie de Jésus adopta dès le début, et dès les premiers Statuts (1854) de la congrégation qu’elle fonda, la Règle de saint Augustin : « Avant tout, aimons Dieu, aimons notre prochain… » (Début de l’exergue de la Règle).

C’est pourquoi contempler ensemble Augustin et Marie-Eugénie – deux cœurs en quête, deux histoires de conversion et de don – peut nous aider dans notre propre chemin vers Dieu « … qui nous a aimés le premier » (cf. 1 Jn 4,10).

Réfléchir à leurs parcours peut également nous aider à approfondir aujourd’hui la spiritualité de l’Assomption.

 

Comment cette aventure a-t-elle commencé pour chacun d’eux ?

En vérité, l’inquiétude du cœur est le point de départ commun de ces deux itinéraires.

Dès le début de ses Confessions, Augustin nous le déclare : « Tu nous as faits pour Toi, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi » (Confessions, I, 1,1). Pourtant, il confesse une adolescence agitée et une jeunesse tumultueuse et désordonnée. Il était comme entravé par ses passions et par sa concupiscence, dont il dit avoir voulu se libérer dès l’âge de dix-neuf ans : « Et voilà que j’avais déjà trente ans, et je ne sortais pas du bourbier » (Confessions, VI, 11). Sans oublier les erreurs de sa quête de vérité, égarée par les illusions du manichéisme…

Cependant, tout cela était marqué, à sa manière, par la recherche de l’amour, de la beauté, de la vérité – mais aussi du succès humain. Il nous décrit ses doutes, ses luttes, ses désirs les plus superficiels comme les plus profonds. Car, au fond, « j’avais faim d’un aliment intérieur, et Toi seul étais cet aliment, mon Dieu » (Confessions, III, 1,1). Dieu ne cessait de lui donner des signes de sa présence : la prière de sa mère, le chemin de ses amis qui lui montraient une autre voie possible, la rencontre avec Ambroise de Milan… Autant d’indices de l’importance de l’amitié et de l’accompagnement spirituel.

Aujourd’hui, nous savons bien d’où viennent nombre d’enfants et de jeunes que nous éduquons, et nous connaissons les conséquences que cela implique.

Marie-Eugénie, après une enfance heureuse, vécut une adolescence marquée par l’accumulation d’épreuves : la ruine de son père, la séparation de ses parents, la mort de sa mère, le fait d’être confiée à des familles aux pratiques religieuses radicalement opposées (Origines, T. I). Que peut signifier tout cela pour la construction d’une personnalité ?

Elle vécut alors une jeunesse empreinte de recherche et de questionnement sur le sens de la vie, jusqu’à – enfin ! – rencontrer la Parole vivante durant le Carême de 1836. Tout ce cheminement, extérieur mais surtout intérieur, elle le décrit dans une lettre écrite au Père Lacordaire, O.P., en 1841, où elle raconte la situation qui précéda ses pas décisifs vers Dieu : son éducation « dans une famille incrédule », bien que marquée positivement par l’influence de sa mère ; sa formation religieuse superficielle et, plus tard, ses doutes et ses questions « qui n’intéressaient personne »… Et, en même temps, ce Dieu qui, à travers les sacrements – et surtout l’Eucharistie – se rendait présent de manière singulière. Depuis sa première communion, première grâce qu’elle considérait comme l’origine de son retour à Dieu, sa conversion s’était enclenchée.

Le processus de conversion fut donc, pour l’un comme pour l’autre, un chemin de lumière et de vérité, et l’expérience du vide fut pour eux un élan vers l’essentiel.

Pour Augustin, ce fut un passage de l’extérieur à l’intérieur : « Tard je T’ai aimée, beauté si ancienne et si nouvelle ! Tu étais au-dedans de moi et moi, j’étais dehors, et c’est là que je Te cherchais » (Confessions, X, 27). Par les chemins tortueux et laborieux qu’il décrit auparavant, il passe de la dispersion au recueillement. L’Écriture Sainte est sa guide ; les Psaumes sont pour lui comme un système de balises lumineuses permettant aux pilotes de trouver la piste d’atterrissage. Enfin, c’est la rencontre avec Dieu en Jésus-Christ, véritable Médiateur, et Augustin « fonde en Lui une espérance solide » (Confessions, X, 53).

Ajoutons que sa conversion ne fut pas solitaire. Augustin se sent toujours entouré d’amis qui marchent avec lui. Détail important, car c’est là l’origine de la « communauté » augustinienne, enracinée dans la Trinité et dans la communauté que Jésus initia comme fondement de son Église : « … et ils vinrent à lui… pour être avec lui et pour qu’il les envoie prêcher… » (Mc 2, 13-14). Communion et Mission. Cela ne nous rappelle-t-il pas Vatican II ?

Mais outre ses compagnons de route, d’autres personnes jouent un rôle plus discret, mais non moins déterminant : les accompagnateurs spirituels ou amis évoqués plus haut, qui nous aident à avancer. Pour Augustin, la rencontre avec Ambroise, évêque de Milan, est l’étincelle qui déclenche le feu de sa conversion : « Sans que je le sache, Tu me conduisais vers lui afin que, par son intermédiaire, j’arrive jusqu’à Toi » (Confessions, V, 13).

Nous connaissons également les prières et les larmes de sa mère, Monique, qui l’accompagna jusqu’à son baptême, et qui se tourna vers le Seigneur en disant : « … après la conversion d’Augustin, il ne m’est plus nécessaire de continuer à vivre » (Confessions, IX, 10). Les prières et l’intercession silencieuse d’autres personnes sont une aide puissante auprès de Dieu.

Revenons à Marie-Eugénie. Sa conversion fut précoce et décisive. Elle ne connut ni doutes ni retour en arrière, bien que les épreuves et les tribulations n’aient pas manqué dans la mise en œuvre de l’appel reçu dès le départ, appel qui allait se préciser avec le temps. « Ma conversion date de Notre-Dame » (Origines, T. I, II, p. 48). Les paroles du P. Lacordaire, prononcées lors de ses dernières Conférences de Carême, furent déterminantes pour elle : « … il lui semblait que chacune de ses paroles lui était adressée directement et répondait à toutes ses questions… la lumière se fit, tranquille, sereine, rayonnante » (ibid.). Sa réponse immédiate fut de se donner à Dieu, de le servir. Servir une Église qu’elle ne connaissait pas encore. Servir la vérité qu’elle découvrait en Jésus et dans son Évangile s’imposa à elle comme un impératif absolu, à accepter avec toutes ses conséquences. Marie-Eugénie avait alors 18 ans.

Le cœur qui cherche devient un cœur qui aime et qui sert.

Puis vient la réalisation concrète de cette vocation : la rencontre, l’année suivante, avec le Père Combalot ; son « oui » difficile à une mission qui consistait à fonder une nouvelle congrégation ; les difficultés agitées de la première petite communauté avec le Fondateur ; la séparation douloureuse… Cependant, « deux ans après le départ du P. Combalot, la Mère Marie-Eugénie écrivait au P. d’Alzon, le 2 février 1843 : “Je crois que, depuis quelque temps, nos sœurs recommencent à aimer le P. Combalot… Nous aimons davantage notre esprit et notre dévotion à Jésus-Christ que tout ce que nous voyons ailleurs, et nous remercions le P. Combalot de l’influence qu’il a eue sur nous” » (Textes Fondateurs, p. 82).

Nous avons cité le Père d’Alzon, « les premières sœurs », « notre esprit » – la spiritualité de l’Assomption –, « notre dévotion à Jésus-Christ »… Nous retrouvons ici des résonances avec l’itinéraire spirituel d’Augustin. Outre les difficultés et les doutes sur le chemin vers Dieu, on y rencontre des personnes qui la soutiennent, la guident et l’encouragent ; l’amitié spirituelle (ses premières sœurs) ; un accompagnateur (Emmanuel d’Alzon) qui devint aussi un accompagné, et surtout un ami – sujet sur lequel il serait long de s’attarder ici.

Chez l’un comme chez l’autre, on perçoit une spiritualité incarnée : de l’intériorité à l’engagement et au service.

Chez Augustin, un passionné : l’amour de la vérité, de la communauté, de la Parole dans l’Écriture Sainte, le mystère insondable de la Trinité… Tout l’oriente vers une vie pour Dieu et pour ses frères, sans jamais se décharger de ses responsabilités sociales, jusqu’à la fin de sa vie.

Il n’esquiva pas non plus la tâche, acceptant la charge d’évêque d’Hippone malgré son désir de se consacrer à sa communauté et à ses recherches… et assumant jusqu’au bout la mission qu’il avait acceptée : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien » (Sermon 340,1). Ne reconnaît-on pas là une forme de synodalité, ce pasteur qui marche avec ses brebis ? (Cette phrase fut reprise par le pape Léon XIV dans son salut après son élection, le 8 mai 2025).

Marie-Eugénie est elle aussi passionnée de Dieu et du Christ. L’amour de Dieu est son seul appui. « Dieu seul », devise qu’elle adopte, n’est pas simplement un mot d’ordre circulant dans l’Église française du XIXe siècle, mais une réalité vécue avec passion. Sa vie a pour unique orientation l’adoration de Dieu qui est le premier.

La spiritualité de l’Assomption est celle du regard unique, à la fois contemplatif et missionnaire : « Mon regard… est tout entier en Jésus-Christ et dans l’extension de son Royaume » (Origines, I, 2e partie, XI, p. 488).

Chez Marie-Eugénie, cela se traduit par un service visant à transformer la société à travers l’Évangile vécu concrètement, en utilisant comme moyen privilégié l’éducation.

Elle trouve dans le mystère de l’Incarnation de Jésus-Christ l’expression ultime de l’amour qui nous a créés enfants dans le Fils, et la source de sa capacité d’aimer : « Le monde n’est pas assez grand pour mon amour » (Notes, vol. 154). Elle est convaincue que Jésus-Christ, dans le mystère de l’Incarnation, « est le commencement et la fin de l’enseignement chrétien : faire connaître Jésus-Christ, libérateur et roi du monde » (Textes Fondateurs, p. 116). Elle explique dans cette lettre décisive au P. Lacordaire : « J’ai du mal à considérer la terre comme un lieu d’exil ; je la vois comme un lieu de gloire pour Dieu… et nous sommes ici pour travailler à l’avènement du Royaume de notre Père en nous et chez les autres » (ibid., p. 117).

Ce regard ouvert sur le monde, cette conviction que chacun a une mission et peut être acteur de transformation dans la société, la vie communautaire et la prière, soutiennent son énergie apostolique et son engagement.

Toujours toutefois dans et avec l’Église. Sa spiritualité est nourrie de l’esprit de l’Église, qu’elle aime fidèlement, tout en reconnaissant ses limites – surtout celles de ses membres.

Tout l’implique dans le « règne social du Christ » dans la société et en chaque personne. Cet enracinement en Lui lui confère une véritable liberté d’esprit. Elle se donne généreusement, avec ce qu’elle appelle un « détachement joyeux », expérience qu’elle a laissée en héritage et qui exprime en quelque sorte le mystère de l’Assomption de Marie.

 

Quelles propositions pourrions-nous nous faire aujourd’hui, religieuses et laïcs de l’Assomption ? La spiritualité de l’Assomption s’abreuve aux cœurs qui ont cherché en profondeur. Voici quelques tâches possibles pour notre temps :

  • Retrouver la valeur de la recherche intérieure dans un monde dispersé.

  • Vivre l’intériorité comme source d’action transformatrice, et non comme un refuge.

  • Approfondir le chemin d’Augustin et de Marie-Eugénie afin de les adopter comme guides pour notre propre cheminement vers une foi adulte, libre et engagée.

  • Repenser l’accompagnement personnel, le nôtre et celui de ceux qui en ont besoin ou le demandent.

Augustin et Marie-Eugénie nous invitent à faire de notre vie un pèlerinage du cœur vers Dieu. Un chemin. Mais pas seuls. Marcher en Église, c’est ce que nous appelons aujourd’hui la synodalité. Voilà un appel qui nous engage nécessairement.

Invitons-nous mutuellement à continuer de chercher, de marcher, de faire confiance : « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5)… comme nous le rappelle le pape François au début de sa Bulle de convocation du Jubilé de l’An 2025.