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Trésors d'Archives nº8 - L’ancien monastere d’Auteuil

T eventlundi 22 juillet 2024

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L’ANCIEN MONASTERE D’AUTEUIL

Introduction

Dans les Archives, un trésor de superbes albums (photos, fusains, aquarelles) nous ouvre la possibilité de déambuler dans l’ancien monastère d’Auteuil, construit en 1856, à l’emplacement actuel du square Rodin. On peut se promener virtuellement dans le parc aux allées ombragées et pousser la porte du monastère, avec ses fresques, ses structures de fer et ses ogives de pierre. Une expérience qui suspend le temps et nous donne de partager l’émotion des premières sœurs qui ont foulé le sol d’Auteuil. Après avoir lu cet article, vous aurez sans doute le désir de feuilleter les pages des albums, de décrypter les plans et de compter arbres et massifs !

 

L’achat de la propriété

Depuis 1845, l’Assomption était établie à Chaillot, près des Champs Elysées, dans un monastère devenu trop petit en raison de l’expansion de la Congrégation. Les sœurs cherchaient donc un lieu où la vie de l’Assomption pourrait se déployer dans toutes ses dimensions : un monastère silencieux, à la campagne, espace pour une vraie formation, à la vie contemplative, austère et régulière ; un pensionnat, avec de larges prairies, où les élèves puissent apprendre à diriger leur vol ; un lieu-source pour les réunions de Congrégation, au moment où elle commençait à fleurir loin de Paris.

Pour des raisons financières évidentes, il fallait vendre le monastère de Chaillot avant d’envisager l’achat d’une autre propriété. En mars 1855, les recherches se concrétisent : « L'Impératrice vient d'acheter pour sa sœur l'Hôtel [= la maison cossue] de Mme de Lauriston près de nous et tout le terrain jusqu'à notre rue. Si elle achetait notre propriété moitié du prix qu'elle y a mis, nous pourrions acheter les 12 arpents qui nous séduisaient en haut de Chaillot et y bâtir tout le monastère avec le prix. » (MME au Père d’Alzon, 7 mars 1855, n°2468). Puis en avril : « …nous sommes en marché pour notre propriété, non pas avec L'Impératrice, mais avec M. de Pontalba qui la revendrait à elle et à d'autres… Demandez à Dieu et à la Ste Vierge en particulier que cela se fasse et que nous puissions avoir une propriété en haut de Chaillot qui n'est pas celle que vous avez vue, mais qui nous conviendrait mieux encore si elle n'est pas sur carrières. » (MME au Père d’Alzon, 30 avril 1855, n°2481) Dans un premier temps, c’est donc dans une autre propriété de Chaillot que Marie Eugénie envisage de s’établir.

Mais les affaires avancent moins vite que prévu et finalement son choix se porte sur un nouveau lieu : « Une magnifique propriété entourée de bois, de vergers, de villas cachées dans les arbres… pour un prix relativement modeste » (Origines, Volume 3, chapitre XVII). Le projet d’Auteuil était né ! Sur cette propriété, au milieu des bois, se trouvait le château de la Thuilerie, appelé ainsi à cause de la fabrique de tuiles qui était établie là dans les temps anciens. Au 16ème siècle, on avait construit un pavillon de chasse ; et plus tard, un château ayant appartenu à des familles prestigieuses.

A l’automne 1855, Marie Eugénie signa le contrat définitif de la vente de Chaillot et de l’achat de la Thuilerie (Cf. MME à Mère Marie Bernard, 14 octobre 1855, n°5272). Les travaux de construction purent commencer. Sur cette grande propriété - délimitée par l’avenue Mozart, la rue de l’Assomption (au 19ème, rue des Tombereaux, du nom des charrettes de terre qui passaient par là), la rue Lafontaine et la rue Ribéra –  il n’y avait qu’un seul bâtiment : le petit château avec sa tour. Difficile d’y installer des religieuses ! Le projet était donc d’aménager le pensionnat dans le château et de faire construire un monastère adjacent pour la communauté et le noviciat.

L’installation à Auteuil eut un impact financier sur la jeune Congrégation qui dut faire des économies pendant longtemps. En octobre 1855, Marie Eugénie confia au Père d’Alzon qu’elle n’était pas sûre de recevoir assez tôt l’argent nécessaire à la Thuilerie. Elle fit toujours très attention aux dépenses : « Je suis enchantée qu'on arrange la cour, mais je voudrais qu'on n'eût qu'une journée de tombereau à 10 Francs et qu'on prît des cailloux non passés. Ce sont les dépenses de tombereau qui m'ennuient… » (MME à Mère Thérèse Emmanuel, 24 mai 1861, n°510). Et elle n’était pas peu fière s’il s’avérait que la gestion avait été bonne : « Nous avons bien plus donné aux entrepreneurs et aux vendeurs de la Thuilerie et des lots que je ne croyais ; nous avons donné bien plus que nous n'avons reçu de M. de Morny, de sorte que notre position est bonne… Je vous avoue que ces calculs m’ont tentée d’orgueil… » (MME à Mère Thérèse Emmanuel, 16 mai 1857, n°462)

 

La construction du monastère

Commença alors une phase de grands travaux dont Marie Eugénie était le maître d’œuvre ! En mars 1856, on creusa les fondations du nouveau monastère ; ce fut tout un discernement pour choisir la position la plus saine : « Je suis allée hier à la Thuilerie les arbres tombent sous la hache, mais les fouilles ne sont pas encore commencées. Nous nous sommes décidées à faire deux côtés du cloître pour y loger provisoirement les enfants, nous ferons le pensionnat quand nous aurons de nouvelles ressources, car le château ne peut être arrangé en pensionnat qu'en détruisant la chapelle et encore ce ne serait jamais très bien. » (MME au Père d’Alzon, 20 février 1856, n°2531) ; « Hier, et avant hier, j'ai été à la Thuilerie où l'on creuse les fondations du nouveau bâtiment. C'est une grande affaire que de le bien placer. Aujourd'hui, je vais à la Visitation voir leurs arrangements intérieurs ». (MME au Père d’Alzon, 6 mars 1856, Lettre n°2535). Marie Eugénie multiplia les visites pour décider de l’aménagement intérieur ; elle reprenait les plans de l’architecte, proposait le dessin des massifs ou les méthodes pour drainer les pelouses. De fait, les Archives de la Maison-Mère contiennent des plans des origines, des dessins de colonnes ou de corniches. On peut presque se pencher sur ces documents en imaginant que Marie Eugénie est à côté de nous, qu’elle les commente avec l’architecte Verdier, le Père d’Alzon ou Mère Thérèse Emmanuel qui prenait le relai de la supervision des travaux lorsque sa Supérieure s’éloignait de Paris.

Quant au Père d’Alzon, dès le mois de janvier 1856, Marie Eugénie insista pour qu’il vienne se reposer au château de la Thuilerie : « …Pourquoi ne viendriez-vous pas ici de suite ? (…) Quand je vais à la Thuilerie, j'y vois mille choses à faire qui sont justement les seules occupations convenables pour vous en ce moment : des massifs à créer, des pelouses à draîner, à faire cultiver, etc... » (MME au Père d’Alzon, 27 janvier 1856, n°2524). « Vers quelle époque pensez-vous maintenant venir ?... la Thuilerie n'étant libre que jusqu'au mois de Juin 1857, je désire que vos projets ne se retardent pas trop. » (MME au Père d’Alzon, 19 février 1856, n°2530)

Le Père d’Alzon arriva finalement en décembre 1856 : « le P. d'Alzon devait arriver avec une telle activité de désirs de s'établir promptement à la Thuilerie que …je n'ai fait que trotter, ou ici pour chercher de quoi organiser une petite Chapelle provisoire, ou à Auteuil pour faire débarrasser et préparer les lieux (…)Pour nous, c'est une chose charmante qu'il aille à la Thuilerie ; il fera organiser la grande chapelle, il pressera les travaux, il surveillera et activera tous les arrangements nécessaires, ce que je n'ai nullement le temps de faire, et ce qui serait bien nécessaire. » (MME à Sœur Marie Augustine, 26 novembre 1856, n°1384). Le Père d’Alzon fut promu surveillant des travaux ! Une fois installé, les jours où Marie Eugénie ne venait pas sur place ou lorsqu’elle quittait Paris, il écrivait pour donner des nouvelles : « Je croyais, comme vous, qu’il vaudrait mieux labourer à la charrue la pelouse. Bülher me répondit que c’était impossible. En effet, la terre est si forte qu’il faudrait au moins quatre chevaux ; et alors… les chevaux abîmeront les massifs en y pénétrant ». (Emmanuel d’Alzon à MME, 5 mars 1857, n°804) Il prit grand soin du jardin mais lorsque Marie Eugénie s’absentait, il craignait parfois que ses arrangements ne plaisent pas à la fondatrice !

En tout cas, son long séjour, de fin décembre 1856 à avril 1857, lui permit de s’attacher au monastère et de s’extasier sur sa beauté : « La Thuilerie se prépare tous les jours à recevoir ses futures habitantes. Ce sera un jour bien beau, presque trop beau (…) Quels trésors de sagesse vont être enfermés dans ces cellules, où pourtant règnera un peu de sainte pauvreté ! ». (Emmanuel d’Alzon à Sœur Marie de la Croix Aubert, 9 janvier 1857, n°781)

 

Une préoccupation écologique

Même si, pour construire le grand monastère, il fallut abattre des arbres, Marie Eugénie prit soin de ces derniers pendant tous les travaux … Le Père d’Alzon lui écrivit un jour : « Avant votre départ, je tiens à vous signaler un fait que j’ai constaté hier soir. M. Demion a fait couper à l’extrémité de votre bois… les arbres que vous prétendiez avant-hier soir être respectés par lui. Voyez si vous devez donner quelques ordres. » (Emmanuel d’Alzon à MME, 15 février 1857, n°790) Quelques jours plus tard : « On prépare la cour, on garde les arbres qui vous protègeront du côté de la rue, on n’a même pas encore touché aux autres ; mais il faudra peut-être prendre un parti sur quelques-uns qui donneront de l’humidité, ou qui empêcheront le nouveau bâtiment de sécher. » (Emmanuel d’Alzon à MME, 27 février 1857, n°800). Abattre un arbre n’est jamais une décision anodine et Marie Eugénie tient à ce qu’on évite le plus possible de le faire. Ainsi, au cours d’aménagements postérieurs, elle conseillera à Thérèse Emmanuel d’envoyer une sœur « qui tienne aux arbres, vérifier s'il faut vraiment abattre ceux dont Sœur Marie Marthe parle… je désire que l'on ménage tout ce que l'on peut et cependant il faut aussi couper ce qui est un obstacle. » (MME à Mère Thérèse Emmanuel, 11 décembre 1863, n°557)

 

Entre tradition et modernité

« Ce n’est point un monastère dans la rigueur technique du mot ; ce n’est point un couvent, ni une congrégation, ni un collège, ni un pensionnat, c’est tout cela à la fois… », peut-on lire dans une revue d’architecture de la fin du siècle au sujet du monastère d’Auteuil. Dans le château, transformé en pensionnat, la grande salle des fêtes se changea en chapelle. Le salon du Consul, où Napoléon aimait venir jadis, devint un grand parloir. Même s’il avait fallu limiter les projets de Marie Eugénie - qui avait d’abord envisagé un plan avec un cloître à 4 côtés fermés - et ne réaliser que deux ailes, les lieux étaient imposants : les cloîtres gardaient « les lignes très pures du gothique » et ils donnaient aux longs corridors des cellules, au réfectoire, à la salle de communauté et à la salle de chapitre, « cet aspect religieux qui saisissait l’âme d’une impression profonde. » (Origines, volume 3, chapitre XVII). Fermons les yeux et imaginons-nous en train de contempler les fresques peintes par Sœur Anne-Marguerite sur les parois du cloître, les murs du réfectoire, fresques dont les Archives conservent des photographies.

« Un vaste perron à double rampe monte à ciel ouvert du sol en contrebas du jardin au vestibule qui surplombe de peu le plain-pied de la cour intérieure. » Passons la porte et posons nos mains sur le calorifère moderne pour les réchauffer : « A droite et à gauche, des parloirs facilement accessibles, l’un plus petit pour les maîtresses, l’autre plus étendu pour les élèves. Plus loin, la salle de communauté ou du chapitre, le long et spacieux réfectoire des religieuses… » Tout cela est construit avec un mélange savant d’ancien et de moderne, l’architecte ayant employé des poutres et des solives de fer toutes apparentes au milieu des planchers en poteries selon le « style Eiffel », en vogue à l’époque.

La communauté s’installa le 10 août 1857. D’autres constructions furent entreprises par la suite (notamment celle du bâtiment actuel, le « couvent de l’Immaculée Conception », inauguré en 1866, de l’autre côté du parc). Un dernier chapitre s’ouvrit en 1925, après les expulsions, lorsque les promoteurs immobiliers commencèrent à détruire le parc aux arbres centenaires, le château et le grand monastère. Heureusement qu’il nous reste, en image, le souvenir de ce lieu-source de la Congrégation.

Sœur  Véronique Thiébaut, Archiviste de la Congrégation