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Trésors d'Archives nº9 - Le temps des epreuves… un temps de renouvellement…

T eventvendredi 31 janvier 2025

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LE TEMPS DES EPREUVES… UN TEMPS DE RENOUVELLEMENT…

Marie Eugénie dans la tourmente des événements de 1870

TRESOR D’ARCHIVES n°9

 

Le siècle de Marie Eugénie était complexe sur le plan politique. Différents régimes se sont succédés à la tête du pays, manifestant la lutte entre les partisans de l’ancien régime monarchique et ceux de la République, menés par un idéal démocratique. Révoltes civiles et coups d’Etat s’enchaînent. En 1851, alors que les dirigeants de la 2ème République se heurtaient à leur manque d’expérience et que toute une partie de la population s’inquiétait pour l’avenir, Louis-Napoléon Bonaparte reprit le pouvoir par un coup d’état. Il proclama le Second Empire, faisant échouer les prétentions républicaines. En juillet 1870, la France s’engageait dans une guerre désastreuse contre la Prusse.  Aux Archives, on peut trouver une série de documents datant de ces temps troublés. Ils nous aident à comprendre comment Marie Eugénie les a vécus, il y a tout juste 150 ans.

 

La guerre bouleverse les projets

Le 25 juin 1870, se tient à Auteuil le 3ème Chapitre Général de l’histoire de la Congrégation. Il précède la dispersion d’une partie des sœurs, qu’il faut mettre en sécurité puisque la guerre est déclarée juste après le Chapitre. Les communautés de l’Assomption qui se trouvent à l’Est du pays (Sedan, Saint Dizier, Reims) sont en zone dangereuse. À Saint-Dizier, l’Assomption devient « ambulance militaire », ce qui signifie qu’on accueille, dans le Monastère, les blessés de guerre. En septembre 1870, Sedan est le théâtre de l’arrestation de Napoléon, discrédité, suivie de près par la proclamation de la 3ème République. La ville de Reims, qui ne se trouve pas loin, est menacée elle aussi dès l’été 1870. Comme le mentionnent les notes des textes fondateurs, Mère Marie-Eugénie, de Lyon où elle est partie au début du mois d’août, apprend les premières défaites de la France. Elle revient donc à Paris qui est aussi occupé par l’ennemi. Auteuil se retrouve au cœur de la tourmente. Il faut disperser la grande majorité des sœurs afin de les protéger. Marie Eugénie dépense son énergie à l’organisation des départs pour Poitiers, Lyon, Bordeaux, Nîmes, l’Angleterre. La sécurité des sœurs est une priorité pour elle. Le Noviciat part pour Lyon. La Congrégation entière est donc touchée par ces événements. Les sœurs, Marie Eugénie la première, voient leurs programmes s’écrouler, leurs plans modifiés ; elles doivent faire face à l’imprévu. En ces temps de pandémie, où tout, dans notre monde, est perturbé, cela nous rend proche de nos Mères. 

 

Auteuil transformé en « ambulance » de guerre

Le 26 août, Marie Eugénie elle-même quitte Paris. Une trentaine de sœurs y restent avec Mère Marie-Séraphine. Une Ambulance est organisée au Petit Couvent, qui devient lieu d’accueil et de soin pour les blessés. Les annales d’Auteuil en 1870-1871, dont nous conservons précieusement les deux cahiers, racontent ces journées. Elles témoignent de cette guerre vécue de l’intérieur : « Le jeudi 13 octobre, j’étais allée à l’ambulance pour les pansements. Vers 9 heures du matin, nous commençâmes à entendre le canon dans la direction des forts de Montrouge et d’Issy ; vers 10 heures les coups se succédaient avec une rapidité effrayante, nous montâmes aux dortoirs des enfants, pensant que de-là nous pourrions voir de quel côté on se battait (…) le canon tonnait à tout ébranler. Lorsque je me fus un peu orientée, je vis très bien à l’œil nu, partir les canons des Prussiens d’une redoute qu’ils avaient faite sur les hauteurs de Clamart. Je fus toute étonnée de voir la fumée assez longtemps avant d’entendre la détonation, on me dit que c’était toujours ainsi. » Dans ces mêmes annales, on découvre comment le Père Picard échappa de justesse aux balles des canons au cours d’une journée qu’il passa auprès des blessés dans les rues de Paris. On y croise les personnes accueillies au Petit Couvent, comme ces deux jeunes gens civils, qui ont été atteints par les balles ennemies alors qu’ils travaillaient à des terrassements du Bois de Boulogne. Une sœur raconte au sujet de l’un des deux : « Je le conduisis dans une salle où il n’y avait encore personne, afin qu’il pût mieux se reposer (…) Lorsque je revins pour le voir, je le trouvais pleurant à chaudes de larmes, son oreiller en était tout inondé. Ce pauvre garçon me fit pitié, je voulus le consoler, je lui disais que nous serions des sœurs pour lui, que nous le soignerions bien (…) J’envoyai chercher Sœur Marie Jeannette pour savoir la cause de ses larmes ; il lui dit que c’était la faim car depuis deux jours il n’avait rien mangé ; ne comprenant pas le français, il ne savait pas quand il devait aller chercher sa ration, et quand il arrivait, il ne trouvait plus rien. »

Les mêmes carnets font état des nombreuses inspections pour connaître le nombre de lits, s’assurer que l’on acceptait les malades. Les sœurs sont inexpérimentées et ne connaissent pas les règlements des ambulances. Il leur faut aussi de l’argent : « Il avait été arrangé avec le maire de Passy que nous fournirions la literie, (…) que nous donnerions nos soins et tout le personnel nécessaire, et le maire s’engageait à nous donner 1,50 franc par jour, pour chaque soldat... »

Paris change de visage : « Quand on n’a pas vu l’aspect de Paris depuis le siège, on ne peut s’en faire la plus petite idée. Ce Paris si gai, si brillant, si luxueux, est aujourd’hui si triste, si sale, si morne : on ne voit que des soldats et des mobiles plus mal propres les uns que les autres. On étend le linge aux Champs-Elysées… » Au cœur de Paris, Auteuil vit donc au rythme des tirs de canons et de l’arrivée des blessés, dans une grande désolation.

Sur le site de la Congrégation, on peut trouver la retranscription complète de ces carnets d’annales de 1870-1871.

 

Depuis Nîmes, Marie Eugénie accompagne « à distance » les communautés

Après avoir quitté Auteuil, « le cœur gros » comme elle l’écrit un jour au Père d’Alzon, Marie Eugénie part vers le Sud. Elle s’arrête à Poitiers, puis à Bordeaux avant d’arriver à Nîmes le 4 octobre 1870. Elle y restera 8 mois, ce qui lui permettra de rester plus facilement en contact avec les sœurs de toute la Congrégation. Ses lettres à Mère Thérèse Emmanuel et au Père d’Alzon sont de véritables sources historiques. Elle cherche en effet à rester en contact avec les événements, suivant l’évolution de la guerre aussi bien que celle des communautés. Elle reste parfois de longs jours sans nouvelles de certaines d’entre elles : « Nulles nouvelles de Reims » (ME, Lettre à TE, n°696, 27 septembre 1870), « rien de bien nouveau, ma chère fille, je crains que la situation soit encore très grave et qu’au 1er jour nous ayons à partir. Saint Dizier paraît délivré de la crainte d’une bataille, il y a des troupes françaises de passage. » (ME, Lettre à TE, n°699), « Nous avons reçu votre dépêche, mais hélas nous recevons aussi ce matin les nouvelles désastreuses de l’armée de Mac Mahon de Sedan. Que va-t-il arriver ? Quel gouvernement allons-nous avoir ? » (ME, Lettre à TE, n°701, 4 septembre 1870) Grande incertitude face à l’avenir. Il faut vivre avec cela. Parfois les nouvelles d’une communauté arrivent comme un rayon de soleil : « J'ai enfin des nouvelles des sœurs restées à Saint Dizier, elles n'ont pas été inquiétées dans l'asile qu'elles ont obtenu à l'hôpital mais leur maison a été habitée par 700 ou 800 Prussiens qui ont tout abîmé. Je n'ai reçu que quelques mots… » (Marie Eugénie, Lettre au Père d’Alz., n°3275 , 1er septembre 1870)

Surprise de découvrir qu’elle écrit parfois de longues lettres en anglais à Thérèse Emmanuel : « Good Bye dearest friend, all is quiet here, we are afraid to receive no news more from Paris, they write today, they say it is perhaps the last time for a long while » (ME à TE, lettre n°706, 13 septembre 1870). Cette dernière se trouve alors à Lyon avec le Noviciat. Au cours du mois de septembre, ses échanges avec Marie Eugénie font état des recherches pour trouver un lieu d’asile hors de France. Elle s’installera à l’abri, en Suisse, à Sacconex, avec les novices. Marie Eugénie suit de près la recherche, puis le voyage. Elle dicte même à Thérèse Emmanuel ce qu’elle devra dire en cas de contrôle durant le voyage.  A la fin du mois de septembre 1870, le noviciat est arrivé à destination : « Nous sommes bien contentes de vous savoir en sûreté. »

 

Un chemin d’abandon et de fidélité

Pendant ces longs mois, Marie Eugénie a « bien à penser pour caser tant de sœurs éparpillées »; elle est sans cesse préoccupée par la situation des communautés : « Je n'ai point de nouvelles de Reims, j'espère que n'y ayant pas eu de combat, il n'y aura pas de violences. » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3277, 18 septembre 1870)

Mais sentir les sœurs sont remplies de foi lui donne du réconfort : « Les sœurs d'Auteuil sont dans des dispositions parfaites, pleines de courage et de ferveur; le Père Picard leur a prêché une retraite (…) et elles l'ont faite de tout leur cœur. » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3278, X septembre 1870,) Elle se réjouit du bien qu’elles font et suit à distance l’accueil des blessés dans les ambulances. Elle vit cependant l’éloignement avec tristesse : « Pour Auteuil je suis bien touchée des lettres de nos sœurs, elles sont dans le meilleur esprit. Hélas ! en recevrai-je encore. Souvent je regrette de n'être plus avec elles. » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3279, 22 septembre 1870)

En 1871 arrive une sorte d’accalmie mais la situation reste instable ; on craint une nouvelle révolution. Marie Eugénie espère que pour toutes, « les épreuves seront un renouvellement » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3291, 25 mai 1871). Un moyen pour tenir : la confiance en Dieu…: « Je ne vois en ce moment de sagesse que de s'abandonner à Dieu, de le servir et de le prier… » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3294, 23 juillet 1871)

Lorsqu’elle rentre à Auteuil, en juin 1871, elle trouve un monastère qui vient d’être pillé par les insurgés de la Commune. Les listes du mobilier détruit, les lettres de réclamation se trouvent aussi aux Archives.

La fondatrice relit sa manière de gouverner, soumise aux aléas d’événements dont elle n’a pas la maîtrise : « Je vois à la fin que le gouvernement est surtout une œuvre de patience ; peu de choses semblait font comme on voudrait, et on ne les ramène au bien général qu'en s'y prenant le plus doucement possible, et surtout avec le moins de parti pris. » (ME, Lettre au Père d’Alz., n°3295, 4 août 1871)

Au cours de ces mois déstabilisant, elle a gardé – pour elle-même et pour les sœurs, l’appel à sanctifier chacun des instants de la vie, quels qu’ils soient, comme en témoigne son dernier chapitre pour les sœurs de Nîmes : « Sur le point de vous quitter, je viens vous faire remarquer avec quelle rapidité passe le temps, la nécessité d’employer pour notre sanctification chacun des instants qui nous sont donnés. Voyez combien cette année (en prenant la moitié de 1870 et la moitié de 1871) remplie d’événements graves et douloureux s’est vite écoulée ! (…) Ainsi se passe la vie et de là, la nécessité de la sanctifier… Comprenez donc, mes sœurs, l’importance et le prix du temps que Dieu vous donne pour préparer votre éternité. » (ME, Instr. du 7 mai 1871) Elle souligne l’importance de vivre dans la dépendance du corps-congrégation et d’agir toujours comme membre de ce corps. Avant de conclure en demandant pardon pour ses propres manquements, elle insiste : « Comprenez donc, mes sœurs, combien il importe qu’en vous sanctifiant vous-mêmes, vous aidiez à établir, à maintenir dans la Congrégation ce qui en doit faire le véritable esprit surnaturel, l’esprit de pauvreté, d’obéissance, de chasteté, l’esprit d’humilité et de zèle, en un mot l’esprit de Jésus-Christ et de l’Évangile… »

Que l’expérience de nos Mères, en des temps troublés, nous aide à traverser sereinement les bouleversements de notre époque.

 

Sœur Véronique Thiébaut, Archiviste de la Congrégation

Octobre 2020