Comme les Sœurs de l'Assomption du monde entier, nous nous sommes réunies en communauté pour discuter de la manière dont nous allions observer le Triduum et célébrer la Nativité de notre Seigneur. Une chose était claire pour nous : ce ne serait pas un Noël ordinaire. Le nombre de réfugiés dormant dans les rues d'El Paso était très élevé et les températures attendues autour du 25 décembre allaient être aussi basses qu'elles peuvent l'être par ici. Pas un bon mélange. Nous avons choisi de ne pas faire de plans fixes sur la façon dont nous allions célébrer Noël, mais nous avons plutôt décidé de nous rendre disponibles pour tous les besoins qui se présenteraient par l'intermédiaire de « Anunciation House » et du diocèse d'El Paso.
Un SOS est arrivé dans l'après-midi du 23 décembre. En raison des températures glaciales, le diocèse ouvrait deux paroisses comme abris d'urgence pour accueillir les réfugiés qui dormaient sur les trottoirs. Ils avaient besoin de 15 volontaires aussitôt que possible. Et pour apaiser les craintes de ceux qui pensaient que les bus qui circulaient dans les rues de la ville pour les amener aux abris, allaient en fait servir a les renvoyer au Mexique, l'évêque Seitz est allé lui-même sur les trottoirs et dans les ruelles pour gagner leur confiance et les persuader d'entrer et de se mettre à l'abri du froid terrible.
C'est ainsi que Chabela, Carmen, Tere, Nha Trang et Mary Ann ont passé du 23 au 25 décembre dans les paroisses de Notre-Dame de l'Assomption, Jean-Paul II et du Sacré-Cœur à faire du bénévolat et/ou à passer la nuit avec d'autres religieux et prêtres, les Chevaliers de Colomb, le personnel de la Croix-Rouge et les habitants d'El Paso - sacrifiant un temps précieux avec leurs familles - pour essayer d'offrir des lieux sûrs, de la chaleur, de la nourriture chaude, du confort et des soins à des centaines de réfugiés gelés et sans abri. Bethléem n'a jamais été aussi proche.
Toute la nuit, des gens ont frappé à la porte, cherchant refuge. Il était difficile d'assumer le rôle de l'aubergiste, mais après 23 heures, il n'y avait de place que pour les femmes et les enfants. La sécurité l'exigeait. Nous étions à pleine capacité ou peut-être même un peu au-dessus. Les hommes qui nous suppliaient d'accueillir leurs femmes et leurs enfants étaient d'accord avec cela. Ils dormiraient sur des couvertures de la Croix-Rouge dans le froid glacial de l'extérieur, mais ils étaient reconnaissants que leurs proches soient au chaud et à l'abri.
Nous avons dû appeler le 911 (urgence) deux fois la nuit de Noël en raison de blessures et de maladies parmi les réfugiés. Et par deux fois, nous nous sommes rendus à la salle d'urgence de l'hôpital pour les ramener, nous déplaçant avec beaucoup de précautions dans la camionnette de la Croix-Rouge dans l'allée étroite laissée par les personnes blotties dans des couvertures de chaque côté de l'allée. Notre plus grande crainte était de rouler sur les pieds des personnes endormies. Dieu merci, les réfugiés eux-mêmes nous ont guidés dans cette mer d'humanité et ont assuré la sécurité de leurs compagnons.
Il y a des scènes qui reviennent sans cesse dans notre esprit lorsque nous nous rappelons la soirée du 25 décembre 2022. Dans l'obscurité de cette nuit, les mots de Jean ont résonné : "En Lui était la vie, et la vie était la Lumière du monde. La Lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas vaincue." Juste là. Juste là, dans les rues et les abris d'El Paso. La nuit de Noël 2022.
Trois jours plus tard, nous avons reçu 10 familles de réfugiés dans une autre paroisse, soit un total de 30 personnes. À notre grand désarroi et au leur, ils n'ont pas pu commencer leur voyage vers leurs spnsors et leurs familles dans les trois jours que cela prend habituellement. Pourquoi ? Il n'y avait absolument aucune place dans les avions ou les bus au départ d'El Paso avant le 1er janvier. Outre le fait qu'il s'agit d'une période de l'année traditionnellement chargée pour les voyages, des milliers de vols avaient été annulés plus tôt dans la semaine en raison des méga-tempêtes de neige qui ont touché une grande partie du pays. Nous avons dû emmener certaines familles dans d'autres refuges gérés par Annunciation House et la ville d'El Paso parce que leurs sponsors aux Etats Unis n'avaient pas les moyens de les faire partir en avion ou en bus même avant le 1er janvier.... les tarifs étaient tout simplement trop élevés.
C'est ainsi que la nuit du 31 décembre, nous nous sommes retrouvés avec quatre familles de réfugiés dans la salle de l'église. Ensemble, nous représentions neuf pays : Équateur, Colombie, Turquie, Russie, Espagne, Guatemala, Mexique, Vietnam et Philippines. La mère turque/russe a préparé des plats de leur culture qui sont typiques pour accueillir la nouvelle année : bortsch et salade de légumes. Elle a même fait du pain pour accompagner le tout. Une autre dame a préparé des enchiladas verdes. Quelqu'uit du punch. Et le reste d'entre nous a fourni des pistons et trompettes en papier, des bâtons qui s'illuminent dans l'obscurité, et des colliers de perles brillantes et lumineuses pour égayer même les âmes les plus désespérées. Les enfants se sont éclatés, nous assourdissant de leur souffle énergique dans les pistons et les trompettes, courant partout avec leurs bâtons lumineux. Qui se souciait de savoir si Igor, 6 ans, de Russie, ne comprenait pas un mot de ce que disait Rosalba, 3 ans, de Colombie ? C'était le moment de rendre grâce pour la fin de l'année qui se terminait - et qui se terminait en compagnie d'étrangers devenus amis, et d’exclus devenus communauté. C'était le moment d'être reconnaissant qu'une nouvelle année commence - et qu'elle commence avec des Colombiens qui mangent de la soupe russe et des Russes qui boivent du punch mexicain. Un nouveau monde est possible. Et il se produisait ici même. Ici même, dans le hall de cette paroisse de la frontière.
Et puis l'heure est venue de mettre fin aux festivités et de se rendre à l'église pour la messe, pour la dernière fois en 2022, afin de comprendre plus profondément le chant des anges la nuit de Noël : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes de bonne volonté." Gloria in excelsis Deo. Gloria in excelsis Deo.
Et qu'en est-il du triduum de Noël par lequel cette lettre a commencé ? Oui, nous avons renouvelé nos vœux la veille de Noël, comme toutes nos sœurs de l'Assomption dans le monde. Et juste après la lecture du Chapitre de Noël, alors que nous étions sur le point de nous lever pour prononcer ces vœux, un coup frappé à la porte de la chapelle nous a arrêtées. C'était notre cher ami Ignacio, un homme doux et croyant qui a perdu sa femme et son fils unique à des moments différents l'année dernière dans des circonstances très tragiques. Il était venu prier avec nous. Son apparition, à ce moment précis, nous a rappelé que nos vœux ne sont pas destinés à être vécus simplement de manière privée et personnelle. Ils nous font entrer plus profondément dans la communauté, dans l'Église, et sont destinés à être vécus avec les autres et pour les autres.
C'est ainsi qu'Anne Françoise, Chabela, Tere, Carmen Amalia, Nha Trang et Mary Ann - en présence d'Ignacio et unies à toutes les Sœurs de l'Assomption rassemblées autour de la crèche, symbole du choix de Dieu pour les pauvres et les impuissants, les petits et les faibles - ont prononcé ces mots qui expriment le désir le plus profond de nos cœurs :
Devant Dieu, dans l'Église, et en présence de ma communauté,
par amour de Jésus-Christ et en réponse à son appel,
je désire me consacrer à lui, librement et pour toujours,
et de consacrer toute ma vie à l'extension de son Royaume.
Je renouvelle mes vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance,
en suivant le Christ jusqu'à la mort, dans la congrégation des Religieuses de l'Assomption
et selon leur Règle de vie.
Comme Marie, je me confie à l'amour du Père,
à la grâce du Seigneur Jésus, et à la puissance de l'Esprit.
Ici même. Maintenant.
Amen.
Partagé par les Sœurs de la Communauté Chaparral : Mary Ann, Anne Francoise, Tere, Carmen Amalia, Chabela, Nha Trang.