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Repos de la terre et pratiques ancestrales en Afrique subsaharienne : entre limites et interdits

R eventlundi 22 juillet 2024

Original : français

Viviane Sawadogo  R.A. Équipe JPICS

Dans son message à l’occasion de la Saison de la création de 2020, le Pape François nous dit que « Dans sa sagesse, Dieu a réservé le jour du sabbat pour que la terre et ses habitants puissent se reposer et se ressourcer. » Il y rappelle que « durant le Jubilé, le Peuple de Dieu était invité à se reposer des travaux quotidiens, à laisser grâce à la baisse de la consommation habituelle, la terre se régénérer et le monde se réorganiser. ». Pendant ce temps de Sabbat l’être humain en cessant momentanément ses activités se refait dans une relation renouvelée à son Créateur, terreau favorable également à une relation ajustée aux créatures non humaines avec qui il partage la vocation commune de la louange. Accepter et intégrer la limite (tempérance -mesure-sobriété) dans nos styles de vie, c’est donner aux habitants de la terre (humains et non humains) l’occasion de se reposer et se ressourcer pour le bien de toute notre Maison commune.

Les sociétés traditionnelles sont dépositaires d’une sagesse fondée sur la conscience que des actions anthropiques exacerbées au sein de la nature sont nocives à l’équilibre des écosystèmes et met en danger la vie sur la terre. Raison pour laquelle, la notion de limite était partie intégrante du vivre dans et avec la nature pour lui permettre le repos nécessaire. Les exemples de deux groupes ethniques en Afrique traditionnelle subsaharienne montrent comment les pratiques ancestrales s’articulent au repos de la nature : les Bulu au Cameroun (Paul Christiane Bilé : 2012) et les Madare au Burkina Faso (Bruno Doti Sanou : 2001).

Les Bulu (Cameroun) pratiquent l’assolement et la jachère pour permettre au sol de se reposer et se reconstituer. L’assolement consiste en une répartition des terres en différentes parties qu’on appelle soles (asán en bulu). Chaque sole est consacrée à une culture donnée pendant un certain temps puis laissé au repos avant d’accueillir à nouveau une autre culture. Quant à la jachère, elle consiste à laisser au repos une surface agricole pendant une période prolongée qui peut aller de six mois à une année (voire plus).

Le repos du monde animalier chez les Bulu, s’organise autour de rites et d’interdits. Ainsi, les techniques de pêche et de chasse utilisées sont celles qui se limitent à prendre le strict nécessaire de poisson et de gibier pour la communauté. Pour la pêche, trois techniques sont autorisées : la pêche à la ligne(minób) réservée aux hommes, la pêche à la nasse (mesaman) et la pêche au barrage (mie’é), pratiquées par les femmes. Notons que la pêche au barrage se fait en groupe une à deux fois par mois et uniquement en saison sèche. Elle ne doit pas durer plus de 45 mn et les petits poissons sont épargnés. Une telle pratique préserve le milieu aquatique d’activités acerbes de la part des humains et lui permet par conséquent le repos nécessaire en vue de la pérennité des espèces qui y vivent. Pour les Bulu, quiconque déroge à ces « interdits » met en danger l’harmonie cosmique et donc, la vie du groupe social. Toutefois, ces manières de procéder sont en voie de disparition. Du fait d’une demande élevée de gibier et de poisson d’eau douce, les paysans y ont vu une source de revenus et s’adonnent dorénavant à la chasse et à la pêche de manière ininterrompue, ce qui menace de disparition certaines espèces animalières.

Une autre forme de restriction concerne trois espèces végétales considérées comme sacrées chez les Madare (Burkina Faso). Il s’agit du néré, du karité et du rônier. Plusieurs interdits entourent ces arbres bien protégés, et c’est au chef de famille que revient en premier la responsabilité de les reproduire. Il est aussi tenu de les planter sur toute portion de terrain qui lui est attribuée par le chef de terre. Il se doit d’être aussi le garant du respect de l’interdiction de couper ces trois essences. La restriction qui accompagne ces trois espèces est une manière de leur accorder le « repos » dont elles ont besoin pour se développer en vue de leur mission vitale au sein de ce peuple. Car ces trois variétés d’arbre sont non seulement sacrées mais elles sont médicinales et alimentaires. Le néré produit un fruit dont la farine sert à préparer la bouillie, le couscous... Les graines quant à elles servent à fabriquer le soumbala (l’équivalent du camembert français en termes de senteur !), une forme d’arôme utilisée dans différents mets. La bouillie de la poudre du fruit du néré est reconnue pour être un fortifiant et un laxatif, quand le soumbala est considéré comme un bon régulateur de tension. A partir de la noix de karité est produit le beurre de karité utilisé en cuisine, pour les massages, l’éclairage etc. Quant au rônier, ses fruits produisent un jus laiteux bien rafraichissant ainsi que des noix nourrissantes. Les feuilles sont utilisées dans la construction de huttes pour se protéger du soleil et de la pluie ou encore pour conserver les aliments au frais. Elles servent également à confectionner des paniers, des chapeaux, des nattes, des berceaux etc.

Dans nos mentalités contemporaines, l’interdit a mauvaise presse parce qu’il évoque la réprobation, une atteinte à nos libertés. Il nous empêche de faire « tout ce que nous voulons et pensons bien pour nous ». Dans le contexte de société traditionnelle, l’interdit relève plutôt d’un « inter-dire » entre les humains, les divinités intermédiaires et Dieu, qui favorise le repos de la terre et ses habitants en vue de l’harmonie et du bien-être.

 

  

 

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Lien pour l’image ‘pêche traditionnelle’

https://journals.openedition.org/ethnoecologie/2206?lang=en

 

Lien pour l’image « gousse de néré »

https://www.elephas.fr/fr/programmes-de-conservation/2-2/

 

Lien pour l’image « arbre karité

http://paysdelaterenga.over-blog.com/2015/11/le-karite-l-arbre-aux-1000-vertus.html

 

Lien pour l’image « fruits du karité »

https://www.oxfammagasinsdumonde.be/blog/material/noix-de-karite/#.X1VKGHkzY2w

 

Lien pour l’image « un rônier »

http://lasomone.com/le-ronier-un-arbre-utile-et-symbolique